Du Trièves à Vizille

La famille PERIER de l’Isère a par sa descendance et ses alliances, du milieu du XVIIIe jusqu’au début du XXe siècle, influencé en profondeur la vie politique, économique, sociale et religieuse du Dauphiné et de la France. Elle a donné notamment un Président de la République (Jean CASIMIR-PERIER), un président du Conseil (Casimir PERIER), des ministres (Charles de REMUSAT, le maréchal Jacques RANDON, Auguste PERIER), de nombreux députés, et sénateurs, des industriels (François PERIER-LAGRANGE, François TIVOLLIER, Camille TEISSEIRE, Alphonse et Alexandre PERIER, René de LA BROSSE, Achille et Eugène CHAPER), des financiers (Claude, Scipion, Casimir et Joseph PERIER), des officiers généraux (général Ernest de CHABAUD-LATOUR,  général Pierre BOYER de LATOUR, une sainte (Rose-Philippine DUCHESNE)

Mais commençons par le début.

Originaires du Trièves, installés vers 1730 à Grenoble, les Perier apparaissent trente ans plus tard comme l’une des familles les plus puissantes de la bourgeoisie grenobloise.

Jacques Perier, premier de la dynastie à avoir laissé son empreinte dans l’histoire régionale, fut consul de Grenoble de 1767 à 1774, devenant à ce titre un des principaux édiles de la cité.
Il fit fortune dans le commerce des toiles de chanvre tissées par les paysans du Voironnais. « La fabrique de toiles de Voiron est la plus importante que nous ayons et que j’aime comme un enfant que j’ay pris à la mamelle et entretenu depuis plus de quarante ans, se soutient et va toujours en augmentant » écrivait-il avec fierté dans une de ses lettres. Il ne possédait en réalité aucune manufacture mais contrôlait commercialement de nombreux petits ateliers ruraux, une grande partie de la production étant dirigée vers les foires de Beaucaire. Ainsi, son horizon commercial par le relais de Beaucaire et de la place de Lyon eut tôt fait de déborder le cadre local. Dès le milieu du XVIIIe siècle, il commença à diversifier ses activités en tissant des liens commerciaux avec la Compagnie des Indes, à Lorient.

Toutefois, ce sont ses fils Claude et Augustin qui, au cours des quinze années qui précédèrent la Révolution, donnèrent aux affaires familiales une dimension nouvelle en les diversifiant et en les développant, affirmant également les ambitions sociales de la famille.
Augustin, installé à Lorient, commerçait avec l’Extrême-Orient. En 1785, il participa à la création de la troisième Compagnie des Indes.
Claude, l’aîné, resté en Dauphiné, dirigea l’entreprise familiale avant la mort de son père et lui donna une remarquable ampleur. Il continua certes le commerce des toiles, mais devint aussi banquier, prêtant de fortes sommes. Il prit ainsi des intérêts dans une maison de commerce marseillaise Chazel et Cie, spécialisée dans le grand commerce atlantique, achetant en particulier du sucre à Saint-Domingue. En 1787, Claude Perier acquit dans cette île une plantation de canne à sucre où travaillaient 250 esclaves.

Parallèlement, il investit dans l’industrie, créant dès 1777 une manufacture d’impression dans le château de Vizille. Il fut dans un premier temps locataire, avant de l’acheter aux descendants des ducs de Lesdiguières en juin 1780. D’abord manufacture de papiers peints, elle fut transformée par la suite en une manufacture d’indiennes, cotonnades imprimées alors très en vogue. En 1787, elle employait 69 ouvriers et la production annuelle était estimée à 12000 pièces. À la fin de l’Ancien Régime, la concurrence se développa : Claude Perier loua alors son entreprise à de grands industriels genevois, les Fazy, l’un d’eux, Jacques Samuel, apportant la qualification technique qui manquait. Il fit également appel à une main-d’œuvre spécialisée et à des techniciens étrangers. Débute ainsi une longue collaboration avec la Suisse et Mulhouse, qui se poursuivra jusqu’à la Restauration et sera renforcée par des liens matrimoniaux et financiers que les Perier auront noués avec la bourgeoisie alsacienne.


Chateau de vizille par Debelle

Le château avant l'incendie de 1865. Estampe d'Alexandre Debelle.

 

Estampe d'Alexandre Debelle du château de Vizille avant son incendie de 1865. La salle du jeu de paume qui n'existe plus de nos jours est sur la droite, en partie cachée par un arbre. C'est dans cette salle que s'est tenue la réunion des États généraux de la province du Dauphiné le 21 juillet 1788, élément déterminant dans la convocation des États généraux ouverts le 5 mai 1789 à Versailles.

 

L’image est significative de ce grand bourgeois dauphinois installant les ateliers d’une industrie moderne dans l’ancienne demeure du connétable de Lesdiguières. L’achat du marquisat de Vizille et de ses dépendances (vaste ensemble d’un seul tenant de 50 paroisses allant de Grenoble à l’Oisans), ainsi que l’acquisition à la même époque d’une charge de conseiller et secrétaire du roi, dénotent aussi d’une volonté de mettre en œuvre tous les moyens d’ascension sociale qu’offrait la société d’ordres. Après cette acquisition de prestige, l’aîné des Perier, déjà surnommé Milord, put se faire appeler noble Claude Perier seigneur de Vizille, devenant le successeur de nobles de hauts lignages. Mais le fossé qui le séparait de l’aristocratie nobiliaire dauphinoise ne fut pas pour autant comblé.
Claude Perier est un exemple de cette bourgeoisie du XVIIIe siècle dominant l’économie, animée d’un fort désir d’ascension sociale, réclamant que ses mérites soient reconnus et s’opposant de plus en plus à la noblesse. Ses liens avec le Parlement de Grenoble ne pouvaient rendre Claude Perier que favorable à la « révolution dauphinoise de 1788 » : « Ses voyages en Angleterre lui avaient donné une juste idée des bienfaits d’un gouvernement libre. Il s’associait vivement à tous les sentiments et à toutes les espérances de cette époque » écrivait son fils, Augustin, dans son journal.

En proposant son château-manufacture aux notables dauphinois le 21 juillet 1788 pour l’une des manifestations les plus significatives de la pré-révolution, Claude Perier préparait son heure. Certes bourgeois d’ancien style, en quête de titres seigneuriaux pour renforcer son ascension sociale et prenant place au rang de chien de garde d’une seigneurie dont il récoltait les titres et percevait les redevances, il n’en était pas moins un « nouveau » bourgeois conquérant, se préparant à profiter des changements politiques.
Sous la Révolution, ce « banquier tout cousu d’or » que le Journal de la Société populaire invective dès 1790 sut s’adapter aux événements. Il prit très tôt parti pour la Révolution, soutint la Gironde et manifesta des sympathies pour le fédéralisme lyonnais.
À l’automne 1793, il dut donner des gages à la Montagne en participant à une société de fabrication de fusils dont il allait défendre les intérêts auprès de la Convention et du comité des armes et poudres à Paris où il résidait désormais depuis le début le début 1793.
Claude Perier profita habilement du rapport mouvant des forces politiques et sociales pour tirer parti des transformations révolutionnaires. Il mit à profit la crise financière pour redéployer sa fortune et réorienter ses activités (achat d’une partie du capital des mines d’Anzin). On le retrouvera parmi les banquiers qui, aux lendemains du coup d’état du 18 Brumaire, apporteront leurs concours à Bonaparte et fonderont la Banque de France.

En lui permettant d’asseoir son assise foncière et financière, les périodes révolutionnaire et impériale furent décisives pour cette famille dauphinoise désormais bien implantée dans la capitale parisienne.